En février 2025, moment où nous allions publier ce site pour partager nos récoltes nous avons compris qu’il y manquait quelque chose d’essentiel: le récit de notre expérience, l’essentiel est le chemin.

Ce récit est fait de nos rencontres, nos questionnements, nos intentions, nos errances, nos doutes, nos joies, nos trouvailles…

Le Processus

Est-ce l’effet covid qui nous a imposé la lenteur et nous a invité à être simplement dans le présent, à ne plus courir le monde ? Est-ce l’envie de faire quelque chose ensemble ? Est-ce un besoin de mettre notre art au service d’un territoire, (le nôtre, celui où l’on vit) ? Est-ce de se réinventer dans notre pratique ? de souhaiter créer des liens durables entre nous artistes et nos voisins ? Est-ce la rencontre avec Luc Carton, philosophe, penseur et militant obstiné de la démocratie et des droits humains, que nous avons eu la chance rencontrer lors de plusieurs temps d’exploration proposés par la Communauté de Communes du Val de Drôme en Biovallée (CCVD) ? Est-ce la synchronicité des questions qui nous animaient et celles qui animaient la CCVD avec le Laboratoire d’innovation culturelle ?

C’est certainement au croisement de toutes ces envies, de ces prises de conscience et de rencontres, que nous nous sommes lancés le cœur vaillant dans cette aventure hors de nos sentiers battus.

Dès le départ, nous sommes donc 6 à constituer ce que nous appelons alors un groupe en collaboration avec la CCVD.

Questionner ce qui fait sens, questionner ce qui fait commun, questionner ce qui fait culture commune nous semble aujourd’hui nécessaire.

Pour chacun de nous cette aventure nous impose des changements de posture.
Pour nous artistes, avec un projet sans projection de finalité qui nous impose le présent et nous pousse à réinventer nos façons d’aller vers les participants et de récolter des paroles par le biais des imaginaires.
Pour les institutions qui cherchent à changer leurs manières de faire culture avec les acteurs culturels (institutions, artistes et les publics) dans la mise en place de nouveaux dispositifs innovants et des moyens mis en œuvre pour un projet sans forme finale ni préalablement définie, ni fixée.

Au moment d’attaquer le projet, la question de la forme juridique est arrivée : quelle structure administrative porte le projet ? Une coopérative doit-elle être crée pour porter cette expérimentation ? Cela nous semble être une bonne piste mais qui nécessite du temps de mise en œuvre car cette coopérative n’aurait de sens que si elle se constitue avec un maximum d’artistes et techniciens du territoire, animés d’une même envie.

Car ce que l’on n’a pas encore dit c’est que nous, les 6 précédemment cités, ne sommes qu’un maillon de la chaîne dans cette exploration portée par la CCVD ; d’autres après nous partirons en recherche sur leur territoire. C’est d’ailleurs ce qui nous a plu dans ce partenariat.

Au moment où nous démarrons le projet, la coopérative n’existant pas encore, la Cie les Rustines de l’Ange a accepté de porter administrativement cette première expérience. Nous espérons que le flambeau sera repris par d’autres sur d’autres communes.

Les essentiels

Le temps – C’est un des points importants pour que l’aventure soit possible, il nous faut du temps, de la lenteur. Du temps pour croiser les gens que nous ne croisons jamais. Du temps pour essayer, rater et essayer encore. Du temps pour faire avec les autres, pour ne pas arriver en sachant mais bien se laisser embarquer au-delà de nos habitudes de fonctionnement. Le temps de la récolte, le temps d’arrosage, le temps de germination, le temps que ça pousse, le temps de comprendre ce qui a poussé et de le partager.

Notre leitmotiv est de s’intéresser aux personnes avant de les intéresser au projet et ça, ça prend du temps !!

L’émergence – D’entrée cela nous a obligé à nous réinventer, à créer de nouvelles façons de construire, de penser, d’agir dans l’acte créatif. Car nous souhaitons laisser émerger la forme artistique au fil de nos rencontres en considérant les imaginaires de chacun.e.

Nous avons commencé par lister nos envies, par imaginer comment nous pourrions aller à la rencontre, par les confronter avant de passer à l’action sur le terrain.

L’intergénérationnel – Comment rencontrer toutes les tranches d’âge ? Le biais de l’école a été une belle opportunité de rencontrer les familles, parents et fratries ; des habitants de 5 à 60 ans (à peu près…).

Les enfants, à l’école de Cobonne : nous avons eu l’immense plaisir de franchir la porte de l’école de Cobonne. François, le directeur et ses 16 élèves de 5 à 11 ans ainsi que Viviane et Aurélie nous ont accueillis les bras ouverts durant deux journées, dans la jolie petite salle communale adjacente à l’école.

Le vecteur sonore était encore notre moyen pour rentrer en lien et en échanges, d’autant que le travail autour du son est un projet de longue date pour l’école, avec notamment la création de leur propre radio : Radio Cob One.

Nous sommes arrivés avec un grand intrumentarium nommé Gamelan que nous jouons depuis une vingtaine d’années. Nous avons pratiqué ensemble, petits et grands, cet instrument envoûtant. Nous avons composé ensemble une pièce musicale inspirée des sons préférés qu’aiment entendre les enfants. En parallèle, nous avons enregistré dans l’école et dans la cour des sons que les enfants nous ont proposés. Toute cette palette de sons nous permet de mettre en musique leur univers sonore au quotidien. Ils nous ont invités à venir participer à leur temps d’école du mardi après-midi dans la forêt ! Nous en avons profité pour enregistrer les propositions musicales que l’instituteur avait préparées ce jour-là. Un régal.

Nous leur donnons rendez-vous le dimanche 13 avril pour jouer ensemble du gamelan sur la place du village.

Nous irons cueillir les ados de Gigors-et-Lozeron en montant dans le bus de ramassage scolaire depuis Aouste-sur-Sye en complicité avec le chauffeur.

Quant aux anciens, les opportunités sont plus rares de les rencontrer en groupe mais au moment où nous étions en travail sur la place du village, le centre communal d’actions sociales de Gigors-et-Lozeron proposait une journée jeu qui nous a permis d’en rencontrer certains, leurs mains font parties de la collection !

La rencontre par le faire

Faire ensemble nous a semblé être une bonne façon de se rencontrer, de faire connaissance, de tisser des liens.

Pendant plusieurs semaines, nous nous sommes mis à l’affût de ce qui se passait autour de nous et avons saisi différentes opportunités, des moments choisis et d’autres impromptus.

Nous voilà donc partis depuis Gigors en transhumance avec nos voisins éleveurs, Corine et Benjamin, jusqu’à Beaufort-sur-Gervanne, où nous retrouvons les enfants tout juste arrivés à l’école.

Un autre jour nous allons faire le pain toute la matinée avec Jean Luc au fournil de Gigors.

Nous nous retrouvons à Suze pour une journée de vendange au domaine Peylong ; l’AG des chasseurs de l’Association communale de chasse agrée (ACCA) ; des commémorations de la résistance ; le déménagement de l’Epicerie associative de Beaufort ; le bus avec les jeunes de Gigors de retour d’école ; l’école de Cobonne.

C’est par ces rencontres actives avec les habitants de Gigors, Lozeron, Suze, Beaufort-sur-Gervanne et Cobonne que la majorité de nos récoltes se sont imposées à nous.

Les traces sonores écrites ou visuelles engrangées lors de ces moments ont ouvert plusieurs pistes. Des fils à tirer pour créer du lien et tisser des imaginaires.

Les toc toc toc.

Bonjour, vous auriez une échelle ? Un rabot ? Vous auriez 5 minutes pour écouter ça ? Y a-t-il un son que vous aimez et qu’on pourrait capter ?

Ne pas être autonome comme nous en avons l’habitude mais se rendre dépendant des autres pour provoquer une occasion d’aller vers eux avec un besoin et ainsi se retrouver à réaliser quelque chose ensemble.

Les récoltes

Photos

Les photos de mains se font sur site là où l’on rencontre les personne, le tissus déposé sur une pierre, un ballot de paille, la table de leur cuisine, un coin d’atelier…

En plongeant à l’intérieur des mains des personnes rencontrées, apparaissent des cartographies sensibles ; nous nous mettons à les observer comme nous observons les vals et les monts du territoire qui nous accueillent. Nous les parcourons du regard et tentons d’en percer les mystères.

A chaque portrait de mains, il y a eu un petit commentaire intime que nous gardons pudiquement.

D’autres photos s’accumulent. Des résonances se font et créent des thèmes de collections tels que reflets, nature résistante, amas, les passages… Elles trouveront aussi leurs places sur ce site.

Les sons

Provoquer un espace de l’imaginaire. Pas de tricherie, tous les sons enregistrés et proposés en écoute sont des sons bruts enregistrés sur le territoire, cette information est donnée à l’auditeur avant l’écoute. Qu’est-ce-que ce son vous évoque, qu’entendez-vous ? De quel animal s’agit-il ? Le jeu est une belle porte d’entrée pour rentrer en relation, et la surprise des réponses a été de taille, des bêtes fantasmagoriques ont fait surface des tréfonds de la terre, l’eau ou plutôt la mer est centrale dans les imaginaires.

Quel son aimez-vous ? Souhaiteriez-vous que nous allions l’enregistrer pour vous ? avec vous ?

Micro en main voilà que l’on rentre dans les intimités sonores des maisons, des jardins, des caves… à capter les sons d’untel qui passe avec sa mobylette moteur éteint à la descente, de l’oiseau en métal qui couine, des chants d’oiseaux… Et la boucle se boucle, les sons seront les prochains quizz sonores proposés à de nouvelles rencontres…

L’eau apparaît… Nous nous doutions que l’eau ferait partie des émergences, là encore c’était dans nos essentiels, mais nous ne nous attendions pas à ce que ce soit surtout la mer ! C’est une des belles surprises… Les montagnes deviennent vagues, les moutons qui se déplacent flux et reflux, la mer monte en automne… On l’entend, on la voit, depuis Lozeron ou depuis Gigors. Elle revient inlassablement dans les imaginaires d’un grand nombre d’habitants. La mer attise notre curiosité, elle nous emmènera jusqu’à la pêche aux oursins à Gigors avec Bernard, un océan de découvertes se déploie sous nos yeux ébahis. Nous récoltons un bout de roche pour constituer une énigme, « le trésor de Gigors » sera lui aussi source de récolte d’imaginaire.

Les bocaux de poésie

Les conserves de poésie trouvent leurs places dans des endroits repérés comme des lieux chéris par les habitants, notamment lorsqu’on leur demande s’ils ont des endroits ressources sur le territoire ; un bocal rempli d’une phrase poétique donné par un habitant, de petits papiers vierges et de stylos colorés, le tout posé là, dans un nid de pierre, sans plus d’explication ni d’invitation. Nos récoltes sont excitantes, la pêche est toujours fructueuse et riche en émotions à la découverte de mots poétiques anonymes écrits face au paysage…

Cette proposition vient résonner dans un des articles des droits culturels qui est central dans nos actions et réflexions : « Permettre à chacun.e d’exprimer son humanité ».

Les rêveries intérieures

Ce serait quoi ton utopie ici dans ton village, ta vallée ? Ton rêve fou ? Cette question est souvent perçue comme difficile, elle ouvre de beaux échanges et trouve finalement sa ou ses réponses une fois l’imaginaire ouvert. Là encore émerge du commun : le lien.

Sortir des zones de confort est déstabilisant

Ce serait faux de dire que cette aventure a été un long fleuve tranquille, les eaux n’ont pas toujours été calmes, nous avons passé quelques tempêtes avec des vents venus d’on ne sait où, des remous internes aussi parfois. Nous avons envie de partager certaines de nos difficultés ici parce que c’est aussi dans ces moments de doutes que nous avons réussi à redonner du sens.

Le groupe – Quasiment à chaque retrouvaille que nous organisons le plus souvent en une succession de jours, il nous faut poser de nouveau les axes de ce que nous cherchons et de comment l’atteindre.

La forme collective est exigeante. Elle nous apprend à composer avec nos différences dans les rythmes et dans les façons d’atteindre nos objectifs. Trouver nos places dans un projet qui les questionne sans cesse est un vrai jeu d’équilibre.

La météo – Afin d’aller vers des inconnus, nous souhaitons attraper les passants au gré du hasard en étant dans des endroits stratégiques du territoire. Être là disponible à la vie de tous et toutes, la météo est venue déjouer certaines de nos projections et a été un vrai facteur de complications pour la mise en œuvre de ses rencontres fortuites. Bien penser à la temporalité saisonnière !

Deux mondes qui se rencontrent – Être partenaire avec une institution pour mettre en œuvre un labo de territoire est une grande aventure, une chance et aussi parfois de la confrontation dans la réalisation. Deux mondes qui se rencontrent avec une envie commune de bien faire et des façons de faire bien différentes. Dans le processus, l’une a besoin de ne pas savoir pour laisser émerger tandis que l’autre qui est dans un cadre institutionnel avec des exigences de timing et de compte-rendus réguliers, a besoin de réponses.

L’une travail avec l’invisible, l’autre a besoin de visibilité.

Manque de temps – Le temps dont nous avons besoin va nous manquer, nous le sentons rapidement. Nous rêvions d’un « Jour de faite » avec la participation active des habitants autour d’un événement imaginé ensemble. Nous acceptons de ne pas atteindre ce que nous avions rêver, non sans une légère frustration, et ce parce que nous souhaitons rester intègre dans la réalisation. Nous saurions organiser un temps fort comme on organise un festival mais alors nous ferions seuls avec nos savoir-faire, ce serait à notre image alors que toute notre recherche est justement ailleurs.

L’évènement du 13 avril reflétera là où nous en sommes des émergences. Il se compose des récoltes mises en espace et en sons dans le village de Gigors et sera encore un temps de récolte.

Aujourd’hui aux portes de cette première étape

Après ces mois d’arpentage, nous commençons à ressentir les retours sur les graines plantées ici et là.

Nous sommes les témoins des liens qui se tissent dans les imaginaires des uns et des autres, dans les rêves, les utopies, les manques, les visions, les désirs, les besoins.

Le lien entre habitants, les temps d’échange, le faire ensemble… mais pourquoi cette question du lien se range dans les utopies ? Qu’y a-t-il d’irréalisable dans ces désirs de lien ? Ces questions pourraient être centrales si nous poursuivions l’exploration.

Ce site trouve sa place dans le désir de les partager le plus possible car nous n’avons évidemment malheureusement pas pu rencontrer tous les habitants…

N’hésitez pas à parler de ce site à vos voisins. L’onglet contact vous permet de réagir, de nous faire parvenir vos ressentis, vos envies, vos rêves…

Si ce site a pu voir le jour, c’est grâce à la rencontre avec Jean-Pierre un habitant d’été de la commune de Gigors-et-Lozeron qui a mis ses connaissances et son temps au service de cette aventure. Nous le remercions chaleureusement.

NOUS RÊVONS DE

rencontrer les différences, les faire se rencontrer
créer du lien
tisser du lien durable
créer des espaces et du temps où la rencontre est possible
récolter les perceptions des habitants sur la vision de ce qu’ils ont de leur lieu de vie
co-construire
surprendre et faire rêver ensemble
être en plein avec tous les âges, importance de l’intergénérationnel
écrire une chanson populaire traditionnelle qui parte de 2024
créer quelque chose qui perdure
des RDV de villages qui font vibrer le commun
créer une forme dans laquelle il y a une place pour chacun quelque soit ses différences
accepter de ne pas savoir ce que l’on va faire
nous intéresser aux personnes avant de les intéresser au projet
faire résonner les ressources du territoire
… sens

intentions de départ, écrites en janvier 2024